Créée en 2002, l’association Anticor est aujourd’hui connue pour les grosses tempêtes judiciaires qu’elle a contribué à déclencher. Elle a par exemple obtenu la mise en examen du secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, ou celle de Richard Ferrand, l’ancien président de l’Assemblée nationale. La perte de l’agrément de l’association, qui lui permettait de saisir un juge d’instruction quand un procureur classait une affaire, a fait aussi la une des médias récemment. Mais ses actions sont moins connues à une échelle locale.

C’est pourtant à ce niveau que bat aussi son cœur vibrant, au travers de ses 85 implantations départementales. « Les niveaux de types d’activités et de maturation des groupes locaux peuvent varier assez fortement d’un département à un autre », explique Christine Périssé, référente Anticor Haute-Garonne et responsable de la commission de nomination des référents locaux. « Dans certains départements, l’association se borne à faire un travail d’information sur les différents aspects de la corruption auprès de ses adhérents. Et dans d’autres, elle porte des affaires auprès de la justice, ce qui constitue la part la plus essentielle de nos activités. »
À l’exception de cinq salariés à Paris, Anticor est composée de bénévoles. La situation professionnelle des référents détermine leur capacité d’implication et ainsi le niveau d’activité de leur groupe local. À Perpignan, depuis plus de dix ans, Didier Melmoux emmène hardiment l’association dans les Pyrénées-Orientales. Il compte aujourd’hui une centaine d’adhérents. « Je fais bien plus que 35 heures par semaine », s’amuse ce retraité qui fut policier municipal au Barcarès pendant plus de vingt ans après avoir été gendarme. À Toulouse, le groupe local haut-garonnais a été formalisé à la fin 2018 et compte près de 300 adhérents. Christine Périssé est fonctionnaire au Conseil départemental. Elle ne compte pas non plus les nombreux week-ends consacrés à l’association.

Une aide précieuse
Concrètement, comment fonctionne l’association dans les départements ? « En amont, nous recevons des primo-signalements. Pour donner un exemple, en 2023, j’en ai reçu une quinzaine. Mais bien souvent, le lanceur d’alerte manque d’éléments pour étayer son accusation. Nous expliquons systématiquement à nos interlocuteurs que nous travaillons sur la base de documents et pas sur des ressentis, prévient Christine Périssé. Je leur explique comment obtenir les documents manquants. Par exemple, je leur propose de solliciter la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) quand la mairie allègue faussement que ledit document manquant n’est pas public. Je fais plus largement de la pédagogie sur les droits des élus d’opposition des conseils municipaux. » Autant d’échanges, remontées d’informations, nouvelles rencontres qui étoffent un véritable réseau d’informations et de compétences. « Deux magistrats, l’un à la retraite et l’autre en activité, et plusieurs avocats nous ont rejoints en Haute-Garonne. Ils peuvent m’apporter une aide précieuse sur certains dossiers », remercie Christine Périssé.
Les référents sollicitent les services juridiques d’Anticor à Paris pour analyser les plus gros dossiers, avant de les soumettre au conseil d’administration. Si ce dernier donne son aval, les responsables locaux procèdent alors à un signalement auprès des parquets locaux. « Nous nous positionnons en partenaires de la justice. Nous apportons des dossiers solides, ce qui, je crois, fait que nous sommes reconnus comme des interlocuteurs sérieux par les procureurs », souligne Christine Périssé.

Fâcheuse habitude
Depuis 2020, Anticor a déposé sept signalements à la juridiction de Toulouse. Le parquet a ouvert dans leur sillage six enquêtes préliminaires. Des gardes à vue ont été décidées pour plusieurs élus dans une procédure concernant la mairie d’Avignonet-Lauragais. La plus retentissante des affaires portées par Anticor à la justice toulousaine concerne Saint-Jory. « En 2022, nous avons procédé à un signalement qui a dénoncé les comportements corruptifs de l’ancien maire Thierry Fourcassier », indique Christine Périssé. L’édile, qui avait eu la fâcheuse habitude de se faire rémunérer l’octroi de permis de construire à des promoteurs immobiliers, dort désormais à la maison d’Arrêt de Seysses.
En contrepoint, quatre des sept signalements ont fait l’objet d’un classement, dont un seul qui ne pose pas de difficultés à Christine Périssé. Parmi les classements qui ont étonné Anticor, l’un concerne le signalement fin 2021 d’un possible emploi fictif au bénéfice du maire de Toulouse. Pour mémoire, en parallèle de ses missions a priori très chronophages de premier édile de la ville Rose et président de la Métropole, Jean-Luc Moudenc occupe un poste de haut fonctionnaire à Bercy. Si les éléments apportés par l’association ont convaincu le procureur de la République de Toulouse Samuel Vuelta-Simon d’ouvrir une enquête préliminaire pour détournement de fonds publics, il a fini par la classer au regard d’éléments attestant d’un travail effectif du maire et haut fonctionnaire. « J’avais demandé préalablement au procureur Samuel Vuelta-Simon s’il n’y avait pas lieu de dépayser l’affaire. Une suggestion qu’il n’a pas suivie », regrette Christine Périssé.
Un autre classement questionne Anticor. Début 2023, l’association a présenté le dossier d’un possible délit de concussion commis par André Mandement, maire de Muret et président du Muretain Agglo. L’association reproche à André Mandement d’avoir ordonné la vente d’un terrain public de la communauté de communes à un promoteur en lui faisant profiter d’une ristourne d’un million d’euros, alors que ledit bien public avait été estimé à 2,8 millions d’euros par l’État. Or, en droit administratif, il est illégal de s’écarter de ce prix quand il bénéficie à un acteur poursuivant un intérêt financier, à l’instar d’un promoteur immobilier. Résultat de la procédure ? Pas de procédure du tout ; le parquet de Toulouse, considérant l’infraction insuffisamment caractérisée, a classé le signalement.

Dossier perdu
Depuis le non-renouvellement polémique de son agrément par le gouvernement, survenue l’an dernier, l’association ne peut plus se constituer partie civile et ainsi saisir un juge d’instruction. « Si le PNF classe également une plainte simple, nous pourrons toutefois en déposer une autre plus tard, avec constitution de partie civile, si nous retrouvons cet agrément », précise Elise van Bénéden. Une suite possible pour les affaires précitées ? Aucune décision n’est encore prise, selon la présidente d’Anticor.
À Perpignan, les interactions d’Anticor avec le parquet n’ont pas été évidentes par le passé. « Il a pu arriver que des dossiers se perdent, il y a cinq ou six ans. Dans une affaire, nous sommes restés longtemps sans nouvelles. Nous avons fini par écrire au procureur général à Montpellier qui nous avait répondu qu’une instruction était pourtant ouverte. Quand nous l’avons dit au procureur de Perpignan, il nous a expliqué qu’il avait perdu le dossier… que nous avons déposé à nouveau. Heureusement, le traitement des affaires que nous apportons s’est normalisé depuis », raconte Didier Melmoux.
Dans les Pyrénées-Orientales, Anticor a déposé 8 signalements depuis 2020, quasiment tous suivis par l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Perpignan, dont deux qui impliquent Alain Ferrand, un habitué des tribunaux. Le maire du Barcarès, en effet, a déjà été plusieurs fois condamné : pour abus de biens sociaux, prise illégale d’intérêt et fraude fiscale. « Dans une affaire concernant Alain Ferrand, nous avons déposé un signalement en septembre 2022. Il a été cité à comparaître en mars 2023. Mais un renvoi a été prononcé par le tribunal correctionnel qui a de nouveau été renvoyé à mai 2025 », déplore Didier Melmoux.
Alors que le Parlement européen a estimé à 120 milliards d’euros la perte annuelle de finances publiques en France du fait de la corruption, on voit que le combat d’Anticor est encore long.

 

Affaire de Saint-Cyprien : Isabelle Jouandet dénonce les errements de la justice

Nouveau rebondissement dans l’affaire qui oppose Isabelle Jouandet à Thierry Del Poso, maire de Saint-Cyprien (cf « Les justes de Saint-Cyprien » – artdeville n° 82). Ou, devrait-on dire, nouvel atermoiement : le 30 novembre 2023, le tribunal correctionnel de Perpignan a renvoyé l’audience du procès au 2 décembre 2024, en raison de son caractère « trop complexe ». Ce qu’a vivement contesté l’avocat de Mme Jouandet, Me Scheuer* : « S’ils avaient voulu prendre le dossier, je plaidais une minute pour expliquer pourquoi il y avait eu un crime », s’offusquait-il devant France 3, à l’issue de l’audience. Cette procédure avait été initiée en 2016 par Jean Jouandet, son mari, après avoir reçu une gifle de la part du maire à l’issue d’un conseil municipal. Ce dernier était alors poursuivi pour violences commises par une personne dépositaire de l’autorité publique. Mais l’enquête fut classée sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée » et « extinction de l’action publique » suite au décès de M. Jouandet, quatre mois après l’agression, d’un cancer foudroyant, à 78 ans. Mme Jouandet l’avait relancée en 2019, en se constituant partie civile. « On a voulu faire croire qu’il s’agissait d’une simple giflette, s’indigne Isabelle Jouandet. Mais la juge d’instruction n’a pas tenu compte des rétractations de nombreux témoins qui avaient accablé mon mari en affirmant faussement qu’il avait donné lui-même une gifle », dénonce-t-elle, alors que M. Del Poso plaide la légitime défense. En outre, « le mobile des violences a été totalement évacué, sans la moindre investigation. Or, au moment des faits, Jean avait déposé sept plaintes pénales contre le maire de Saint-Cyprien. Il était en outre à l’origine de vingt-six jugements rendus par les juridictions administratives de Montpellier et de Marseille sanctionnant les illégalités de gestion municipale imputables au maire de Saint-Cyprien. En conséquence, la circonstance de représailles n’a été ni instruite, ni a fortiori retenue », explique-t-elle dans un texte qui relate l’audience du 30 novembre dernier. À la suite de l’altercation, M. Jouandet avait subi 23 jours d’ITT.
Le délibéré de cette affaire ne devrait donc pas intervenir avant, au mieux, la fin de 2024, soit plus de huit ans après les faits et cinq ans après la constitution de partie civile de Mme Jouandet.
* Figure du barreau montpelliérain, l’avocat Alain Scheuer est décédé ce mois de mars 2024

Légendes :

Prix éthiques
Chaque année, l’association anticorruption Anticor décerne des prix éthiques « aux lanceurs et lanceuses d’alerte, élus, chercheurs et chercheuses, journalistes et artistes qui ont contribué à la lutte contre les atteintes à la probité et à rétablir le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus. L’association remet également des casseroles et des pantoufles à ceux qui ont fait fi de ces impératifs démocratiques. » En janvier, la 16e édition de la Cérémonie a remis l’un des prix éthiques au chanteur compositeur Bernard Lavilliers pour sa chanson intitulée Corruption. Photo © Thierry Borredon

– L’humoriste Fary Lopes et Emma Taillefer, administratrice d’Anticor, ont gratifié d’une pantoufle Cédric O, ancien secrétaire d’État chargé du numérique « pour ses deux tentatives de pantouflage (départ du public vers le secteur privé) retoquées par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique ». © Thierry Borredon

– De gauche à droite Élise Van Beneden, présidente d’Anticor. Didier Melmoux, référent d’Anticor des Pyrénées-Orientales. Christine Périssé, référente Anticor Haute-Garonne. © DR